Je poursuis ici une série de 5 billets exploratoires (lire Écosysteme de l'information (1/5): Twitter Surge et Ecosysteme de l'information (2/5): P2P news) en me consacrant aujourd'hui à ce qui a modifié le comportement des usagers dans ce nouvel écosystème de l'information.
La mutation qui s'empare du lecteur qui, tout en étant un consommateur pour les info-brokers, participe en même temps à le nourrir, rendant encore plus floue les frontières dans cette chaîne, puisqu'il est à la fois en amont et en aval de l'information.
Changements majeurs pour l'usager
Je me limiterai à citer que quelques points concernant cette évolution de la place du grand public face à l'information dans les deux dernières décennies (Alexandre Serres en dénombrait jusqu'à 7) et dont, il y a déjà un petit bout de temps, je vous avais entretenu.
1-Autonomie de l'usager: affranchissement total des usagers face aux professionnels de l'information (bibliothécaires, journalistes, médias, critiques, professeurs, députés...) dû notamment à leur augmentation (concurrence) et à la multiplication des outils et des canaux. (Si le sujet vous intéresse : The Information Industry Revolution: Implications for Librarians ). Auparavant, en aval, derrière des gardes-barrières, il se retrouve aujourd'hui à filtrer lui-même, à la source (ou plutôt à une multitude de sources) ses informations. Et ce, même s'il ne souhaite pas.
2-Apparition du hasard comme facteur de réussite: d'une recherche structurée avec méthodes et applications, on est passé à l'ère où un document se découvre par hasard au détour d'un clic. (Si le sujet vous intéresse : Chercher faux et trouver juste: Serendipité et recherche d'information). Dans un monde d'abondance, il n'est pas rare de toujours revenir de la pêche avec une bonne prise, qu'importe où l'on pêche. Et ne sous-estimez pas cet effet: quand toute recherche permet de donner une réponse "satisfaisante" la valeur d'une réponse "exacte" (et donc coûteuse) s'écroule.
3-Déplacement de la barrière: l'accès à l'information n'est plus un problème, la capacité de traitement de cette information est devenue la nouvelle barrière. (Si le sujet vous intéresse : Problèmes et enjeux de l'évaluation de l'information sur Internet). Comment traiter 10000 hyperliens trouvés? La "pertinence" comme critère technique est bien dure à atteindre. L'accès n'est plus un problème, mais voilà que son traitement cognitif en est devenu un.
Dans un monde (hyper)riche en information, où les outils nous noient davantage qu'ils nous aident, l'hominidé post-turingien (mmm intéressant comme expression que je viens de créer), que nous sommes en train de devenir, voit dans un néo-tribalisme un chemin de traverse...
Filtre humain
Puisque les filtres ont été court-circuités et que la validation d'un document repose sur l'usager, il lui incombe d'identifier ce qui est digne d'être lu/vu/entendu. Mais comme 99% de nos informations sont de "seconde main" (la plupart des informations sur le monde nous sont relayées et non acquises de "première main") cette tâche s'accomplit en se fiant à des "autorités cognitives ou informationnelles".
Nous choisissons nos sources, ces info-brokers, qui nous alimenteront, filtreront, agrégerons en contenu, pour nous tenir au courant...
Et pour les choisir, rien de tel que de se fier à sa tribu: son ami, sa copine, son père, sa cousine, le collègue, l'instituteur, la directrice, son équipe... L'outil web Praized ne fait rien de moins que de faire vibrer cette corde.
Disponible chez un info-broker près de chez vous
La qualité n'est évidemment pas assurée, mais dans le lot, on l'a vue, avec la sérendipité, on finit par trouver du contenu potable quand même, un peu comme on trouve toujours un arbre dans sa ligne de vision dans une forêt.
La mobilité et l'interchangeabilité des info-brokers sont telles qu'il donne l'illusion --mais ce n'est plus techniquement vraiment faux-- que l'information se rend à nous et non l'inverse. Qu'elle nous trouve. Ou du moins qu'elle est là où on l'attend.
Reléguant ainsi le (bon) journaliste au "faiseur de bruit" --bruit dans le sens d'information non demandée -- et donc, essentiellement appelé Ã nous instruire sur ce que l'on ne s'attend pas --et je crois qu'une partie de la crise du journalisme provient du fait que certains ne disent que ce que l'on veut entendre. Mais on déborde du sujet.
Who's the king?
Avec un tel scénario, que reste-t-il à faire? Qu'en est-il du "Content is King" dans un tsunami d'information?
Ce qui émerge depuis quelque temps et qui prend lentement sa place dans la chaîne, c'est "The Context is King". Mais gardons-en nous un peu pour la prochaine fois.
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Lecture en attendant mon prochain billet
10 considérations sur les blogueurs, de François Guillot, qui constitue une des réflexions les plus pertinentes cette année sur la blogosphère dans la chaîne informationnelle.
Le journalisme est malade, interview vidéo de Jean-Claude Guillebault, où il affirme que le journalisme disparaît petit à petit au profit du médiatique. Trahison de la vocation journalistique?
Pourquoi la crise du journalisme? interview vidéo de Jean-Claude Guillebault, parce qu'ils disent tous la même chose.
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